En ce 10 février, Bertolt Brecht aurait eu 125 ans, et reste considéré comme le chantre du théâtre épique, un style théâtral qui tente, par l’introduction d’un narrateur, de rendre le théâtre plus proche d’une épopée. Dans les tragédies antiques, ceci est réalisé par exemple par le chœur. Le théâtre épique s’oppose au théâtre dramatique qui, lui, cherche à captiver le spectateur par le saisissement (catharsis).
Le théâtre épique de Brecht est une rupture avec la conception du théâtre. En marxiste, il entend ses pièces comme des « instruments d’instruction, au sens de la pratique sociale révolutionnaire ». Pour pouvoir instruire, il faut déclencher le processus de réflexion. À cet effet, le spectateur doit prendre conscience du caractère illusoire du théâtre, et ne doit pas, contrairement à ce que demande la catharsis aristotélicienne, être prisonnier de l’action, avoir pitié des protagonistes, ressentir les événements comme un destin individuel. Au contraire, il doit voir la représentation comme une parabole des rapports sociaux et se demander comment les injustices présentées pourraient être modifiées. La théorie théâtrale de Brecht est politique : il voit ses pièces, écrites en exil, comme des tentatives de création d’un nouveau théâtre qui incite le spectateur à une réflexion distanciée et au questionnement.
A cette nouvelle soirée de Parties Civiles, on trouva beaucoup d’épopées, quelques drames, et pas moins de questionnements.
Table 1, dite « Têtes rondes et têtes pointues » (sous l’aimable plume de Marie-Anne) : Partie d’initiation à Root par Fabrice, avec comme novices : Gilles, Kilian, Marie-Anne. Après une explication des règles communes, chaque joueur démarre avec un peuple aux caractéristiques et tactique de jeu spécifique. Gilles avec le peuple des oiseux des Eyries ( les oiseaux bleus) Killian avec l’alliance de la forêt (Souris vertes), Fabrice : le vagabond (mustélidé noir), et Marie-Anne avec la marquise des chats (chats oranges) Chaque faction a sa manière de jouer et de marquer des points.
La marquise des chats a commencé à prendre de l’avance visible avec les constructions (scierie et tour de recrutement), les Eyries ont commencé une vendetta, contre la marquise avec quelques coups d’alliés opportuns qu’étaient l’alliance de la forêt et le Vagabond. Gilles parvient à éviter la crise et ne change qu’une seule fois de despote à la tête de ses oiseaux. Le vagabond est surtout présent sur le territoire de la marquise, joue quelques alliances et peine à obtenir des objets car peu d’objets ont été manufacturés. L’alliance trouve difficilement ses marques malgré un beau coup pour réduire la présence de la marquise des chats. L’alliance est un peuple qui peut crée du chaos et jouer sur les équilibres des force, mais semble difficile à jouer.
Les chats de la marquise ont maintenu vaille que vaille les clairières construites, tandis que subtilement les Eyries re-construisent leurs nids. Cette action permettant à Gilles de se créer un moteur à points qui le fit rapidement et irrémédiablement prendre la tête. Une coalition tardive permis de temporiser d’un tour cette victoire. Pour cela, le vagabond sacrifia tous ses objets sur ces deux tours de jeu pour attaquer les nids et en détruire certains. L’alliance chercha à développer un peu tard sa rébellion, et la marquise était trop éloignée et à manquer de peu de finir la partie avant les Eyries.
Résultat : Gilles/les Eyries à 30 points, Marie-Anne/la marquise à 28 points, Fabrice/le vagabond à 19 points et enfin Kilian/l’alliance à 12 points.
Comment une société malade en arrive-t-elle à désigner un bouc émissaire, responsable de tous ses maux ? A travers une parabole grotesque et fantaisiste, Brecht tourne en dérision l’idéologie raciste dans une tragi-comédie musicale au pays du Grand Ibérin, où les Têtes Rondes décident d’exterminer les Têtes Pointues.
« Humaine est l’injustice mais plus humain est le combat contre l’injustice »
Table 2, dite « Dialogues d’exilés » : à cette table on s’étale à perte de vue devant les marchés planétaires qui servent de décor à Coffee trader. Comme attendu, on y joue le négoce du café à l’ère de la mondialisation. Benjamin, qui aime mettre en scène et commenter ses actions dans la plus pure tradition du théâtre épique, s’impose 1 petit point devant Matthieu. Neox et Xel ont apprécié ce moment d’éternité, surtout long vers la fin.
Dialogue d’exilés met en scène la rencontre de deux exilés au buffet d’une gare : Kalle, un ouvrier et Ziffel, un physicien. Autour de bières, une conversation philosophique s’installe.
« Le passeport est la partie la plus noble de l’homme. D’ailleurs un passeport ne se fabrique pas aussi simplement qu’un homme. On peut faire un homme n’importe où, le plus étourdiment du monde et sans motif raisonnable : Un passeport, jamais. »
Table 3, dite « L’opéra de quat’sous » : à Mage Knight Marc inflige une rude défaite à Olive, par le truchement, notamment, d’un parapluie, qui n’est, pourtant, en général, pas considéré comme une arme par destination, sauf chez les bulgares.
L’opéra de quat’sous est une comédie musicale qui s’inscrit dans la logique carnavalesque, d’ambivalence et d’inversion, recourant à de multiples formes de parodie. Sa conception du temps est purement carnavalesque et les thèmes classiques de la littérature carnavalisée sont omniprésents, comme le déguisement, le « temps joyeux », ou le « bas corporel .
» Tout ce que vous trouverez à coffrer ici, ce sont quelques jeunes gens qui veulent fêter le couronnement de leur reine en organisant un petit bal masqué. «
Table 4, dite « Le cercle de craie » : attention, chef d’œuvre : Fred a fait l’acquisition de Terracotta Army, et s’il commence à expliquer les règles par le comptage des points, cela n’a rien d’un hasard tant celui-ci se révèle d’une redoutable complexité. Nous construisons un mausolée, qui enferme des militaires tels que soldats, officiers, arbalétriers, que l’on façonne à l’agile humide, mais aussi des chevaux, musiciens et autres serviteurs, que l’on recrute moyennant finances et talents. Toute la complexité du jeu réside dans le schéma que vont former ces différentes figures, qui rapportent des points selon différentes situations, et qui varient en plus selon les 5 phases du jeu. Pour corser le tout, les actions se programment sur un triple cercle dont deux sont des roues qui tournent et que l’on peut influencer, et chacune ne propose d’un seul emplacement par manche, à moins d’avoir recruté un « grand meeple » qui donne le privilège de s’incruster à un poste déjà pris. Cela peut être salvateur en particulier quand on se trouve en fin d’ordre du tour. Dans cette partie inaugurale, Franck, un autre adepte du théâtre épique qui aime à commenter ses actions et à tester ses hypothèses, prend un départ rapide, qui s’avèrera vite irrémédiable. Il s’impose avec 176 dans cette soirée qui consacre décidément les penchants brechtiens, suivi de Mickaël, 144, François, 128, et Fred, 125.
Dans le cercle de craie du Caucase, lors d’un attentat révolutionnaire, le gouverneur est assassiné. Son épouse fuit en abandonnant leur bébé, recueilli par une servante du palais. Mais l’enfant (héritier) est pourchassé par les révolutionnaires et la servante s’enfuit pour un long périple à travers le Caucase au cours duquel elle s’attire de nombreux ennuis à cause de l’enfant. La révolution avortée, elle est toujours traquée par les soldats qui veulent désormais rendre l’enfant à sa mère mais elle s’est attachée à lui et le considère comme son propre fils. À qui l’enfant sera-t-il accordé ? Le tribunal, dirigé par un juge extravagant, décide d’appliquer l’épreuve du cercle de craie : l’enfant est placé dans un cercle et les deux mères doivent tirer l’enfant de leur côté. La véritable mère sera-t-elle celle qui attirera l’enfant ? Non, ce sera celle qui refusera de faire du mal à l’enfant en l’écartelant.
Table 5, dite « Ventres glacés » : sous la plume de Vincent, nous retiendrons de cette partie de Massive Darkness qu’avec OlivierB, François-René et Jérôme, ils ont « vaincu sans péril mais non sans gloire, avec un centaure doré marquant l’éclat de son auréole mordorée, tandis que les squelettes tombaient sous le feu assassin de la roublarde « .
Ventres glacés est le premier film ouvertement communiste de la République de Weimar. Coécrit par Bertolt Brecht, qui supervisa l’ensemble de la production, il retrace l’histoire d’une colonie ouvrière autonome à Berlin. D’abord censuré pour « propagande communiste », il put ensuite être montré sous certaines conditions, sous la pression d’une partie de la presse. Le titre provient du dialecte berlinois kuhl (pour kühl, frais) et Wampe (ventre). Kuhle Wampe était aussi le nom d’un terrain de camping de Berlin. Le titre symbolise à la fois les difficultés du prolétariat et la vision d’espoir des auteurs incarnée par le communisme. Un des ouvriers y fait la remarque à un « nanti » que la classe aisée ne changera pas le monde, ce à quoi l’interpellé rétorque: « Qui changera alors le monde ? ». Il se voit répondre « Ceux à qui il ne plait pas ».
Table 6, dite « Irrésistible ascension » : à Tigre et Euphrate, Tristan, 15, déclara sobrement à propos de Xof, 19 : « Je lui ai appris à jouer. Il m’a appris à gagner ».
Composée de dix-sept scènes, la résistible ascension d’Arturo Ui est une parabole sur la prise de pouvoir nazi et son extension, transposée dans le milieu du crime qui s’était développé à l’époque aux États-Unis. La figure principale d’Arturo Ui représente Adolf Hitler, mais il emprunte aussi des traits à Al Capone. Dans l’épilogue, Brecht tire la leçon de la pièce : « Vous, apprenez à voir, plutôt que de rester les yeux ronds… Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde ».