Le 17 janvier 1377, cédant aux prières de Sainte Catherine de Sienne, faisant fi des lamentations de son entourage attaché au Palais des Papes et à son luxe, le pape Grégoire XI, dernier pape français, met fin à la captivité d’Avignon et réinstalle le Saint-Siège à Rome. La monarchie capétienne, affaiblie par la guerre de Cent Ans, n’est plus assez forte pour retenir le pape. Mais, à sa mort, le 27 mars 1378, le peuple romain impose l’élection d’un pape indigne, déséquilibré et violent, Urbain VI, qui cherche à imposer au Collège une vie conforme à l’idéal évangélique, demandant aux cardinaux de renoncer à leurs pensions et d’investir dans la restauration de l’Église. Deux conceptions de l’Église, du fonctionnement de ses institutions, de sa fiscalité et du rôle de ses princes — l’une avignonnaise, l’autre romaine — s’opposent. Les cardinaux, en majorité français, habitués aux fastes et aux intrigues de couloirs grâce auxquelles ils ont pu accéder à leurs charges si rémunératrices, voient d’un très mauvais œil ce pape moralisateur et intransigeant qui violente les cardinaux qui s’opposent à lui, jusqu’à les dépouiller et les faire exécuter en place publique. Treize cardinaux, pour la plupart français, se réuniront en septembre 1378 à Anagni, sous la protection de troupes gasconnes et navarraises, annulant l’élection d’Urbain VI et conférant la tiare au cardinal Robert de Genève. Clément VII, faute de pouvoir faire autrement, regagnera Avignon. C’est le début du Grand Schisme d’Occident, qui divisera pendant quarante ans l’Europe chrétienne en deux courants, entre papes et antipapes, Rome et Avignon, le tout sur fond de perte d’influence de l’église face à la noblesse et la bourgeoisie et de laïcité rampante des esprits.
Quelques années plus tard, un schisme était en gestation à l’occident de Lannion, lors d’une paisible soirée de jeux. Dans l’attente de Marie-Anne, cinq joueurs avaient constitué une table de Râ et quatre une table des voyages de Maroc Polo. Deux tables complètes donc. Laquelle allait se séparer pour accueillir notre nouvelle joueuse ? A ce suspense intense comme un carré de chocolat noir, il fut mit fin par l’intéressée qui choisit, pour un temps, d’assister en spectatrice, à la deuxième. Le schisme occidental de Lannion fit donc long feu.
Table 1, dite « Un Dieu en partage » : Râ fut choisi comme un jeu du mardi par une table de joueurs sages comme des images, c’est à peine si on entendait quelques invocations poussives du divin à l’approche de la fin de la piste qui scande ses apparitions. Se partageant presque ses faveurs, Matthieu, grâce à un tableau puissant et équilibré, l’emporte avec 40 devant Jakez, 38, roi des Pharaons et du Nil. François (23), moyen partout, occupe le ventre mou d’un classement dont Benjamin (13) et Evan (10) sondent les profondeurs, faute d’avoir su utiliser leurs jetons à temps.
Table 2, dite « Vers l’Orient compliqué » : Les voyages de Marco Polo, table au long de cours de joueurs motivés par le thème au point d’avoir réservé leur strapontin sur la toile, voit une courte victoire de Neox (57), vainqueur à coup d’idées simples, qui devance Xel (53), Marc (49), et Anastasia (37).
Table 3, dite « Papes vs. antipapes » : De l’Egypte antique, la table 1 bifurque vers la Grèce d’Akropolis, et accueille donc Marie-Anne à ce jeu très astucieux, où il s’agit de composer un village en forme de puzzle de différents types de tuiles, qui rapportent des points selon leur nombre, leurs règles de pose, et, surtout, la présence de multiplicateurs et de tuiles en étage. S’y affrontèrent urbanistes et clémentistes. Dans la première catégorie, on rangera sans hésitation aucune les intransigeants Mathieu, vainqueur avec 111 dont un hallucinant 66 sur les guerriers et deux zéros, et Benjamin (88, dont 58 sur les habitations, et également deux zéros). Partisans du confort coupable d’une feuille de score plus équilibrée et sans aucun zéro, François (98) et Marie-Anne (86) apprirent à leurs dépends que patience et longueur de temps font parfois moins que force et que rage.
Table 4, dite « Vers la réforme » : le grand schisme d’Occident dérive toujours plus vers l’Orient avec cette table finale de Sushi go qui réunit les protagonistes du voyage de la table 2. Xel et Anastasia – en parfaite égalité avec 58, y détrônent Neox 56, et où Marc restera non noté dans nos grimoires, faute d’un scribe attentif. Portant deux joueuses en tête, cette table clôt idéalement la parenthèse du schisme non avenu de Lannion, annonçant la réforme et l’émancipation à venir des femmes.